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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/284

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demanda qu’on lui attachât les mains de manière qu’il les eût croisées sur sa poitrine, au lieu de les avoir liées derrière le dos. « J’aime, disait-il, à être couché à mon aise. » On s’empressa de le satisfaire ; puis l’adjudant donna le signal du départ, dit adieu à Mateo, qui ne lui répondit pas, et descendit au pas accéléré vers la plaine.

Il se passa près de dix minutes avant que Mateo ouvrît la bouche. L’enfant regardait d’un œil inquiet tantôt sa mère et tantôt son père, qui, s’appuyant sur son fusil, le considérait avec une expression de colère concentrée.

— Tu commences bien ! dit enfin Mateo d’une voix calme, mais effrayante pour qui connaissait l’homme.

— Mon père ! s’écria l’enfant en s’avançant les larmes aux yeux comme pour se jeter à ses genoux. Mais Mateo lui cria : « Arrière de moi ! » Et l’enfant s’arrêta et sanglota, immobile, à quelques pas de son père.

Giuseppa s’approcha. Elle venait d’apercevoir la chaîne de la montre, dont un bout sortait de la chemise de Fortunato.

— Qui t’a donné cette montre ? demanda-t-elle d’un ton sévère.

— Mon cousin l’adjudant.

Falcone saisit la montre, et, la jetant avec force contre une pierre, il la mit en mille pièces.

— Femme, dit-il, cet enfant est-il de moi ?

Les joues brunes de Giuseppa devinrent d’un rouge de brique.

— Que dis-tu, Mateo ? et sais-tu bien à qui tu parles ?

— Eh bien, cet enfant est le premier de sa race qui ait une trahison.

Les sanglots et les hoquets de Fortunato redoublèrent, et Falcone tenait ses yeux de lynx toujours attachés sur lui. Enfin il frappa la terre de la crosse de son fusil, puis le jeta sur son épaule et reprit le chemin du mâquis en criant à Fortunato de le suivre. L’enfant obéit.