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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/313

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écoutilles. Il parut enfin sur le pont ; et d’abord relevant la tête avec fierté au milieu de la foule craintive des esclaves, il jeta un coup d’œil triste, mais calme, sur l’immense étendue d’eau qui environnait le navire, puis il se coucha, ou plutôt se laissa tomber sur les planches du tillac, sans prendre même le soin d’arranger ses fers de manière qu’ils lui fussent moins incommodes. Ledoux, assis au gaillard d’arrière, fumait tranquillement sa pipe. Près de lui, Ayché, sans fers, vêtue d’une robe élégante de cotonnade bleue, les pieds chaussés de jolies pantoufles de maroquin, portant à la main un plateau chargé de liqueurs, se tenait prête à lui servir à boire. Il était évident qu’elle remplissait de hautes fonctions auprès du capitaine. Un noir qui détestait Tamango, lui fit signe de regarder de ce côté. Tamango tourna la tête, l’aperçut, poussa un cri, et, se levant avec impétuosité, courut vers le gaillard d’arrière avant que les matelots de garde eussent pu s’opposer à une infraction aussi énorme de toute discipline navale : « Ayché ! » cria-t-il d’une voix foudroyante, et Ayché poussa un cri de terreur ; « crois-tu que dans le pays des blancs il n’y ait point de Mama-Jumbo ? » Déjà des matelots accouraient le bâton levé ; mais Tamango, les bras croisés, et comme insensible, retournait tranquillement à sa place, tandis qu’Ayché, fondant en larmes, semblait pétrifiée par ces mystérieuses paroles.

L’interprète expliqua ce qu’était ce terrible Mama-Jumbo, dont le nom seul produisait tant d’horreur. « C’est le Croquemitaine des nègres, dit-il. Quand un mari a peur que sa femme ne fasse ce que font bien des femmes en France comme en Afrique, il la menace du Mama-Jumbo. Moi, qui vous parle, j’ai vu le Mama-Jumbo, et j’ai compris la ruse ; mais les noirs…, comme c’est simple, cela ne comprend rien. — Figurez-vous qu’un soir, pendant que les femmes s’amusaient à danser, à faire un folfar comme ils disent dans leur jargon, voilà