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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/314

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que d’un petit bois bien touffu et bien sombre, on entend une musique étrange, sans que l’on vît personne pour la faire ; tous les musiciens étaient cachés dans le bois. Il y avait des flûtes de roseau, des tambourins de bois, des balafos, et des guitares faites avec des moitiés de calebasses. Tout cela jouait un air à porter le diable en terre. Les femmes n’ont pas plus tôt entendu cet air-là, qu’elles se mettent à trembler ; elles veulent se sauver, mais les maris les retiennent : elles savaient bien ce qui leur pendait à l’oreille. Tout à coup sort du bois une grande figure blanche, haute comme notre mât de perroquet, avec une tête grosse comme un boisseau, des yeux larges comme des écubiers, et une gueule comme celle du diable avec du feu dedans. Cela marchait lentement, lentement ; et cela n’alla pas plus loin qu’à demi-encablure du bois. Les femmes criaient : « Voilà Mama-Jumbo ! » Elles braillaient comme des vendeuses d’huîtres. Alors les maris leur disaient : « Allons, coquines, dites-nous si vous avez été sages ; si vous mentez, Mama-Jumbo est là pour vous manger toutes crues. » Il y en avait qui étaient assez simples pour avouer, et alors les maris les battaient comme plâtre. »

— « Et qu’était-ce donc que cette figure blanche, ce Mama-Jumbo ? » demanda le capitaine.

— « Eh bien, c’était un farceur affublé d’un grand drap blanc, portant, au lieu de tête, une citrouille creusée et garnie d’une chandelle allumée au bout d’un grand bâton. Cela n’est pas plus malin, et il ne faut pas de grands frais d’esprit pour attraper les noirs. Avec tout cela, c’est une bonne invention que le Mama-Jumbo, et je voudrais que ma femme y crût. »

— « Pour la mienne, dit Ledoux, si elle n’a pas peur de Mama-Jumbo, elle a peur de Martin-Bâton ; et elle sait de reste comment je l’arrangerais si elle me jouait quelque tour. Nous ne sommes pas endurants dans la famille des Ledoux, et quoique je n’aie qu’un poignet, il manie en-