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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/348

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— « Quelle folie ! » m’écriai-je, « et quelle commission me donnes-tu là ! »

— « Tu rempliras le devoir d’un bon ami. Tu sais qu’il faut que je meure. Je n’ai consenti à ne pas me tuer que dans l’espoir d’être tué, tu dois t’en souvenir. Allons, fais-moi cette promesse ; si tu me refuses, je fais demander ce service à ce contre-maître, qui ne me refusera pas. »

» Après avoir réfléchi quelque temps, je lui dis : « Je te donne ma parole de faire ce que tu désires, pourvu que tu sois blessé à mort, sans espérance de guérison. Dans ce cas, je consens à t’épargner des souffrances. »

— « Je serai blessé à mort ou bien je serai tué. » Il me tendit la main, je la serrai fortement. Dès lors, il fut plus calme, et même une certaine gaieté martiale brilla sur son visage.

» Vers trois heures de l’après-midi les canons de chasse de l’ennemi commencèrent à porter dans nos agrès. Nous carguâmes alors une partie de nos voiles ; nous présentâmes le travers à l’Alceste, et nous fîmes un feu roulant auquel les Anglais répondirent avec vigueur. Après environ une heure de combat, notre capitaine, qui ne faisait rien à propos, voulut essayer l’abordage. Mais nous avions déjà beaucoup de morts et de blessés, et le reste de notre équipage avait perdu de son ardeur ; enfin nous avions beaucoup souffert dans nos agrès, et nos mâts étaient fort endommagés. Au moment où nous déployâmes nos voiles pour nous rapprocher de l’Anglais, notre grand mât, qui ne tenait plus à rien, tomba avec un fracas horrible. L’Alceste profita de la confusion où nous jeta d’abord cet accident. Elle vint passer à notre poupe en nous lâchant à demi-portée de pistolet toute sa bordée ; elle traversa de l’avant à l’arrière notre malheureuse frégate, qui ne pouvait lui opposer sur ce point que deux petits canons. Dans