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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/371

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il se trompait ; un fâcheux ne lâche pas facilement sa proie. Thémines tourna bride, et doubla le pas pour se mettre en ligne avec Saint-Clair et continuer la conversation plus commodément.

J’ai dit que l’allée était étroite. À toute peine les deux chevaux pouvaient y marcher de front ; aussi n’est-il pas extraordinaire que Thémines, bien que très-bon cavalier, effleurât le pied de Saint-Clair en passant à côté de lui. Celui-ci, dont la colère était arrivée à son dernier période, ne put se contraindre plus longtemps. Il se leva sur ses étriers, et frappa fortement de sa badine le nez du cheval de Thémines.

— « Que diable avez-vous, Auguste ? » s’écria Thémines. « Pourquoi battez-vous mon cheval ? »

— « Pourquoi me suivez-vous ? » répondit Saint-Clair d’une voix terrible.

— « Perdez-vous le sens, Saint-Clair ? Oubliez-vous que vous me parlez ? »

— « Je sais fort bien que je parle à un fat. »

— « Saint-Clair !… vous êtes fou, je pense… Écoutez : demain, vous me ferez des excuses, ou bien vous me rendrez raison de votre impertinence. »

— « À demain donc, monsieur. »

Thémines arrêta son cheval ; Saint-Clair poussa le sien ; bientôt il disparut dans le bois.

Dans ce moment, il se sentit plus calme. Il avait la faiblesse de croire aux pressentiments. Il pensait qu’il serait tué le lendemain, et alors c’était un dénoûment tout trouvé à sa position. Encore un jour à passer ; demain, plus d’inquiétudes, plus de tourments. Il rentra chez lui, envoya son domestique avec un billet au colonel Beaujeu, écrivit quelques lettres, puis il dîna de bon appétit, et fut exact à se trouver à huit heures et demie à la petite porte du parc.

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