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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/372

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— « Qu’avez-vous donc aujourd’hui, Auguste ? » dit la comtesse. « Vous êtes d’une gaieté étrange, et pourtant vous ne pouvez me faire rire avec toutes vos plaisanteries. Hier vous étiez tant soit peu maussade, et moi j’étais si gaie ! Aujourd’hui, nous avons changé de rôle. — Moi, j’ai un mal de tête affreux. »

— « Belle amie, je l’avoue, oui, j’étais bien ennuyeux hier. Mais, aujourd’hui, je me suis promené, j’ai fait de l’exercice ; je me porte à ravir. »

— « Pour moi, je me suis levée tard, j’ai dormi longtemps ce matin, et j’ai fait des rêves fatigants. »

— « Ah ! des rêves ? Croyez-vous aux rêves ? »

— « Quelle folie ! »

— « Moi, j’y crois ; je parie que vous avez fait un rêve qui annonce quelque événement tragique. »

— « Mon Dieu, jamais je ne me souviens de mes rêves. Pourtant, je me rappelle… dans mon rêve j’ai vu Massigny ; ainsi vous voyez que ce n’était rien de bien amusant. »

— « Massigny ? J’aurais cru, au contraire, que vous auriez beaucoup de plaisir à le revoir ! »

— « Pauvre Massigny ! »

— « Pauvre Massigny ! »

— « Auguste, dites-moi, je vous en prie, ce que vous avez ce soir. Il y a dans votre sourire quelque chose de diabolique. Vous avez l’air de vous moquer de vous-même. »

— « Ah ! voilà que vous me traitez aussi mal que me traitent les vieilles douairières vos amies. »

— « Oui, Auguste, vous avez aujourd’hui la figure que vous avez avec les gens que vous n’aimez pas. »

— « Méchante ! allons, donnez-moi votre main. » Il lui baisa la main avec une galanterie ironique, et ils se regardèrent fixement pendant une minute. Saint-Clair baissa les yeux le premier et s’écria : « Qu’il est difficile de vivre en