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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/376

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— « Mais au nom du ciel, quel motif a pu te faire soupçonner une chose aussi improbable ? »

— « Rien, rien au monde que ma mauvaise tête… et… vois-tu, ce vase étrusque, je savais qu’il t’avait été donné par Massigny… »

La comtesse joignit les mains d’un air d’étonnement ; puis elle s’écria, en riant aux éclats : « Mon vase étrusque ! mon vase étrusque ! »

Saint-Clair ne put s’empêcher de rire lui-même, et cependant de grosses larmes coulaient le long de ses joues. Il saisit Mathilde dans ses bras, et lui dit : — « Je ne te lâche pas que tu ne m’aies pardonné. »

— « Oui, je te pardonne, fou que tu es, » dit-elle en l’embrassant tendrement. « Tu me rends bien heureuse aujourd’hui ; voici la première fois que je te vois pleurer et je croyais que tu ne pleurais pas. »

Puis, se dégageant de ses bras, elle saisit le vase étrusque et le brisa en mille pièces sur le plancher. (C’était une pièce rare et inédite. On y voyait peint, avec trois couleurs, le combat d’un Lapithe contre un Centaure.)

Saint-Clair fut, pendant quelques heures, le plus honteux et le plus heureux des hommes.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— « Eh bien ! » dit Roquantin, au colonel Beaujeu qu’il rencontra le soir chez Tortoni, « la nouvelle est-elle vraie ? »

— « Trop vraie, mon cher, » répondit le colonel d’un air triste.

— « Contez-moi donc comment cela s’est passé. »

— « Oh ! fort bien, Saint-Clair a commencé par me dire qu’il avait tort, mais qu’il voulait essuyer le feu de Thémines avant de lui faire des excuses. Je ne pouvais que l’approuver. Thémines voulait que le sort décidât lequel tirerait le premier. Saint-Clair a exigé que ce fût Thémines. Thémines a tiré ; j’ai vu Saint-Clair tourner une