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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/436

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le nomme la querencia. D’ordinaire, c’est la porte par où ils sont entrés dans l’arène.

Souvent on voit le taureau, emportant dans le cou l’épée fatale dont la garde seule sort de son épaule, traverser la place à pas lents, dédaignant les chulos et leurs draperies dont ils le poursuivent, il ne pense plus qu’à mourir commodément. Il cherche l’endroit qu’il affectionne, s’agenouille, se couche, étend la tête, et meurt tranquillement si un coup de poignard ne vient pas hâter sa fin.

Si le taureau refuse d’attaquer, le matador court à lui, et, toujours au moment où l’animal baisse la tête, il le perce de son épée (estocada de volapié) ; mais s’il ne baisse pas la tête, ou s’il s’enfuit toujours, il faut, pour le tuer, employer un moyen bien plus cruel. Un homme, armé d’une longue perche terminée par un fer tranchant en forme de croissant (media luna), lui coupe traîtreusement les jarrets par derrière, et, dès qu’il est abattu, on l’achève d’un coup de poignard. C’est le seul épisode de ces combats qui répugne à tout le monde. C’est une espèce d’assassinat. Heureusement il est rare qu’il soit nécessaire d’en venir là pour tuer un taureau.

Des fanfares annoncent sa mort. Aussitôt trois mules attelées entrent au grand trot dans le cirque ; un nœud de cordes est fixé entre les cornes du taureau, on y passe un crochet, et les mules l’entraînent au galop. En deux minutes les cadavres des chevaux et celui du taureau disparaissent de l’arène.

Chaque combat dure à peu près vingt minutes, et d’ordinaire on tue huit taureaux dans une après-midi. Si le divertissement a été médiocre, à la demande du public, le président des courses accorde un ou deux combats de supplément.

Vous voyez que le métier de torero est assez dangereux. Il en meurt, année moyenne, deux ou trois dans toute l’Espagne. Peu d’entre eux parviennent à un âge avancé.