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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/437

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S’ils ne meurent pas dans le cirque, ils sont obligés d’y renoncer de bonne heure par suite de leurs blessures. Le fameux Pepe Illo reçut dans sa vie vingt-six coups de corne ; le dernier le tua. Le salaire assez élevé de ces gens n’est pas le seul mobile qui leur fasse embrasser leur dangereux métier. La gloire, les applaudissements leur font braver la mort. Il est si doux de triompher devant cinq ou six mille personnes ! Aussi n’est-il pas rare de voir des amateurs d’une naissance distinguée partager les dangers et la gloire des toreros de profession. J’ai vu à Séville un marquis et un comte remplir dans une course publique les fonctions de picador.

Bien est-il vrai que le public n’est guère indulgent pour les toreros. La moindre marque de timidité est punie de huées et de sifflets ; les injures les plus atroces pleuvent de toutes parts ; quelquefois même par l’ordre du peuple, et c’est la plus terrible marque de son indignation, un alguazil s’approche du toreador et lui enjoint, sous peine de la prison, d’attaquer au plus vite le taureau.

Un jour l’acteur Maïquez, indigné de voir un matador hésiter en présence du plus obscur de tous les taureaux, l’accablait d’injures. — « Monsieur Maïquez, » lui dit le matador, « voyez-vous, ce ne sont pas ici des menteries comme sur vos planches. »

Les applaudissements et l’envie de se faire une renommée ou de conserver celle qu’ils ont acquise obligent les toreadors à renchérir sur les dangers auxquels ils sont naturellement exposés. Pepe Illo, et Romero après lui, se présentaient au taureau avec des fers aux pieds. Le sang-froid de ces hommes dans les dangers les plus pressants a quelque chose de miraculeux. Dernièrement un picador nommé Francisco Sevilla fut renversé et son cheval éventré par un taureau andalous d’une force et d’une agilité prodigieuses. Ce taureau, au lieu de se laisser distraire par les chulos, s’acharna sur l’homme, le pié-