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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/442

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II.
1831.

Valence, 15 novembre 1830.
Monsieur,

Après vous avoir décrit les combats de taureaux, je ne vois, pour suivre l’admirable règle du théâtre des marionnettes, « toujours de plus fort en plus fort, » je ne vois, dis-je, d’autre moyen que de vous parler d’une exécution. Je viens d’en voir une, et je vous en rendrai compte, si vous avez le courage de me lire.

D’abord il faut que je vous explique pourquoi j’ai assisté à une exécution. En pays étranger on est obligé de tout voir, et l’on craint toujours qu’un moment de paresse ou de dégoût ne vous fasse perdre un trait de mœurs curieux. D’ailleurs l’histoire du malheureux qu’on a pendu m’avait intéressé : je voulais voir sa physionomie ; enfin j’étais bien aise de faire une expérience sur mes nerfs.

Voici l’histoire de mon pendu. (J’ai oublié de m’informer de son nom.) C’était un paysan des environs de Valence, estimé et redouté pour son caractère hardi et entreprenant. C’était le coq de son village. Personne ne dansait mieux, ne jetait plus loin la barre, ne savait plus de vieilles romances. Il n’était pas querelleur, mais on savait qu’il fallait peu de chose pour lui échauffer les oreilles. S’il accompagnait des voyageurs son escopette sur l’épaule, pas un voleur n’eût osé les arrêter, leurs valises