Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/443

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eussent-elles été remplies de doublons. Aussi c’était un plaisir de voir ce jeune homme, sa veste de velours sur l’épaule, se prélassant par les chemins et se dandinant d’un air de supériorité. En un mot, c’était un majo dans toute la force du terme. Un majo, c’est tout à la fois un dandy de la classe inférieure et un homme excessivement délicat sur le point d’honneur.

Les Castillans ont un proverbe contre les Valenciens, proverbe, suivant moi, de toute fausseté. Le voici : « À Valence, la viande, c’est de l’herbe ; l’herbe, de l’eau. Les hommes sont des femmes, et les femmes — rien. » Je vous certifie que la cuisine de Valence est excellente, et que les femmes y sont extrêmement jolies et plus blanches qu’en presque aucun autre royaume de l’Espagne. Vous allez voir ce que sont les hommes de ce pays-là.

On donnait un combat de taureaux. Le majo veut le voir ; mais il n’avait pas un réal dans sa ceinture. Il comptait qu’un volontaire royaliste son ami, de garde ce jour-là, le laisserait entrer. Point. Le volontaire était inflexible sur sa consigne. Le majo insiste, le volontaire persiste : injures de part et d’autre. Bref, le volontaire le repousse rudement avec un coup de crosse dans l’estomac. Le majo se retira ; mais ceux qui remarquèrent la pâleur répandue sur sa figure, qui observèrent ses poings fermés avec violence, ses narines gonflées et l’expression de ses yeux, ces gens-là pensèrent bien qu’il arriverait bientôt quelque malheur.

À quinze jours de là, le volontaire brutal fut envoyé avec un détachement à la poursuite de quelques contrebandiers. Il coucha dans une auberge isolée (venta). La nuit une voix se fait entendre qui appelle le volontaire : « Ouvrez, c’est de la part de votre femme. » Le volontaire descend à demi vêtu. À peine avait-il ouvert la porte, qu’un coup d’espingole met le feu à sa chemise et lui envoie une douzaine de balles dans la poitrine. Le meurtrier dispa-