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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/460

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se cache la figure dans le gilet du voyageur, doublement ému.

La voiture va comme le vent : huit mules vigoureuses au grand trot. Les cavaliers s’arrêtent ; ils se forment sur une ligne, — c’est pour barrer le passage. — Non, ils s’ouvrent ; trois prennent à gauche, trois à droite de la route : c’est qu’ils veulent entourer la voiture de tous les côtés.

— « Postillon, arrêtez vos mules si ces gens-là vous le commandent ; n’allez pas nous attirer une volée de coups de fusil ! »

— « Soyez tranquille, monsieur, j’y suis plus intéressé que vous. »

Enfin l’on est si près, que déjà l’on distingue les grands chapeaux, les selles turques et les guêtres de cuir blanc des six cavaliers. Si l’on pouvait voir leurs traits, quels yeux, quelles barbes ! quelles cicatrices on apercevrait ! Il n’y a plus de doute, ce sont des voleurs, car ils ont tous des fusils.

Le premier voleur touche le bord de son grand chapeau, et dit d’un ton de voix grave et doux : « Vayan Vds. con Dios, allez avec Dieu ! » C’est le salut que les voyageurs échangent sur la route. « Vayan Vds. con Dios, » disent a leur tour les autres cavaliers s’écartant poliment pour que la voiture passe ; car ce sont d’honnêtes fermiers attardés au marché d’Ecija, qui retournent dans leur village et qui voyagent en troupe et armés, par suite de la grande préoccupation des voleurs dont j’ai déjà parlé.

Après quelques rencontres de cette espèce, on arrive promptement à ne plus croire du tout aux voleurs. On s’accoutume si bien à la mine un peu sauvage des paysans, que des brigands véritables ne vous paraîtraient plus que d’honnêtes laboureurs qui n’ont pas fait leur barbe depuis longtemps. Un jeune anglais, avec qui j’ai lié connais-