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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/102

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ques sourires à mesure qu’ils défilaient, visibles pour lui seul. Ce que le nabab voyait en ce moment avait un charme qu’aucune conversation oisive n’aurait pu lui donner ; il assistait à la conquête du Mysore ; il entendait le canon mugir dans les solitudes du Malabar ; il suivait aux assauts le jeune colonel, aujourd’hui duc de Wellington ; il voguait sur le golfe Arabique, à bord de l’India, et à côté de Cornwallis, ce héros fabuleux d’immortelles expéditions ; et la guerre finie, il se voyait maître et colonisateur dans une plantation conquise par les armes et défrichée par la charrue ; il fondait un comté d’Angleterre aux limites du monde, et arrosait de ses sueurs le sol du désert indien, pour en extraire la fécondité européenne, avec cette intelligence active et cet acharnement intrépide de colon qui sont les vertus du génie anglais.

Oui, en, compagnie de pareils souvenirs, un vieillard peut s’isoler dans une habitation, et n’appeler à son aide aucun auxiliaire bruyant comme remède à l’ennui. Cela se conçoit très-bien. Les entretiens froids du monde civilisé ne peuvent lui rendre une seule de ces vives émotions qu’il trouve dans l’échelle immense de ses souvenirs. Une jeunesse ardemment occupée est la meilleure provision des vieux jours ; et ils obéissent à des instincts bien intelligents, ceux qui partent à l’aurore de l’âge, s’aventurent sur les océans, apprennent la vie à l’école de tous les peuples ; feuillètent ce globe comme le livre de Dieu, et laissent une goutte de leur sueur ou de leur sang sur chaque grain de sable, qui peut un jour être fécondé et donner des épis à la table de l’indigent, du voyageur ou du naufragé !