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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/115

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rencontré des sauvages de mille nuances, visité les Lapons nains et les Patagons géants, côtoyé tous les archipels, évité tous les écueils, subi tous les ouragans, et qui, certes, avait acquis le droit, comme lord Botingbroke, de ne s’étonner de rien, était foudroyé de surprise par le délire de cette cour et l’épidémie de Figaro. Le noble amiral n’avait jamais rien vu de pareil sur les quatre coins de la mappemonde ; il regardait le roi avec des yeux tristes, et le roi regardait la lettre du Mysore, et versait intérieurement toutes les larmes de son cœur.

» Et que devenaient les finances au milieu de cet étourdissement général ? Le mot de Trivulce se trouvait plus que jamais de circonstance ; il fallait trois fois de l’argent pour envoyer Suffren au Mysore, et le déficit de 27 millions s’élargissait chaque jour ! et personne ne songeait à le combler. Il s’agissait bien de si peu de chose ! On avait Figaro ! la Profession de foi du vicaire savoyard, l’Épître à Uranie, Candide, la Pucelle et le Contrat social. Avec ces distractions, on bravait les menaces du déficit.

» À Paris, on se sert souvent de l’enthousiasme comme d’un moyen ingénieux et froid pour jouer un mauvais tour à quelque gloire voisine trop éclatante. Il y a souvent beaucoup d’adresse dans ce débordement d’admiration qui éclate chez des hommes dont le naturel jaloux et railleur à perpétuité semble exclure tous les nobles sentiments du cœur. Pour ceux-là, Figaro arrivait très à propos à Versailles le 27 avril ; il dispensait de donner un coup d’œil au bailli de Suffren. On ne peut admirer deux grands hommes à la fois ; tant pis pour le dernier venu, n’aurait-il sur l’autre que deux heures de