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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/169

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l’autre côté du lac. L’œil fixé sur un foyer de broussailles, allumé comme un phare sur le rivage voisin, Killy souriait aux embûches du lac, et puisait, à chaque effort, une énergie nouvelle dans son amour.

Killy ne courait pas les mêmes dangers que Léandre ; sa barque ne risquait pas d’être submergée ; mais dans la plus violente tempête, elle suivait les vagues dans leurs fougueuses ondulations, et remontait toujours à leurs cimes ; cependant au milieu d’un hiver polaire, le froid était si rigoureux sur le lac que le jeune Killy, malgré son éducation robuste, était obligé de couvrir ses épaules d’un manteau de laine écossaise, que le vent arrachait avec une force irrésistible, en dépit des nœuds et des agrafes, et emportait au loin sur les ondes comme une feuille sèche, de sorte que Killy se trouvait beaucoup plus maltraité que Léandre lorsqu’il arrivait au rivage ; il n’était pas noyé, mais il était transi et pâle comme l’agonisant aux abois.

Katrina, la fiancée de Cold-Stream, attisait le feu de broussailles dès qu’elle voyait poindre, dans une éclaircie boréale, la barque de Killy, et cette précaution, tant bonne qu’elle fût, ne remédiait au mal que lorsque le mal était consommé. Souvent la première lueur de l’aube retrouvait encore Killy pâle et muet devant les tisons à demi éteints.

Killy avait ainsi abandonné aux ouragans du lac tous les manteaux et les plaids héréditaires de sa famille ; peu favorisé de la fortune, comme tous les Highlanders, il se voyait ruiné par les déprédations nocturnes du vent de l’hiver, et, chose bien plus terrible ! il lui devenait impossible de continuer ses traversées sur le lac si son dernier manteau paternel allait