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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/170

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rejoindre les autres dans les abîmes du Ben-Lomon. Dans toutes les zones, il y a une fatalité qui poursuit les amants qui abusent des ténèbres protectrices de la nuit pour insulter par leur bonheur les mortels raisonnables qui dorment. Léandre se noie devant la tour d’Abydos ; Dhéran est dévoré par une panthère devant les ruines des Sept-Pagodes ; Killy est dépouillé de son manteau sur le lac de Ben-Lomon. La moralité de ceci semble dire que Dieu a fait la nuit pour le sommeil.

— Je n’ai plus qu’un manteau, disait Killy à Katrina, et que deviendrai-je si le vent du lac me l’emporte, selon son habitude ? Il faudra donc renoncer à vous voir, car, vous le savez, nos deux familles sont en guerre, comme toutes les familles d’Écosse, pour imiter les parents de Lucie de Lammermoor et d’Edgar de Ravenswood ; il nous est impossible de nous voir pendant le jour ; malheur à nous si votre père nous surprenait ; vous verriez renouveler, par ce puritain, l’histoire de Jephté l’Israélite. Laissez-moi vous sauver ; laissez-moi partir ; nous nous reverrons dans des temps plus heureux ; vous serez à moi, un jour ; rien ne peut changer notre destinée, ni déchirer notre contrat nuptial.

— Mais, dit naïvement la jeune Katrina, puisqu’il vous reste, dites-vous, encore un manteau, pourquoi me faites-vous, ce matin, de si tristes adieux ?

— Le manteau qui me reste, dit Killy, est une relique sacrée ; un de mes aïeux le portait à la bataille du pont de Bothwell ; il est renfermé dans un coffre de sapin tout parfumé de camphre, et l’aîné de la famille ne l’en retire qu’une seule fois dans l’année, pour s’en parer avec orgueil, la veille