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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/208

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annonça, mieux que la parole, qu’une pareille invitation était acceptée avec le plus grand plaisir.

À l’heure du lunch, la famille de Patrick fut introduite dans la salle à manger du vice-roi. Edith, très-bien inspirée par son esprit, avait une toilette des plus simples, mais jamais les hautes glaces vénitiennes du palais du gouvernement n’avaient réfléchi une aussi merveilleuse beauté.

Le vice-roi porta vivement la main à ses yeux, comme si ses paupières eussent tout à coup subi une éblouissante irradiation de soleil. La mère, qui ne perdait rien de ce qui se passait devant elle, vit le mouvement du vice-roi et se réjouit dans son cœur.

Edith, invitée à prendre place devant une tasse de thé, s’assit avec l’aisance d’une lady habituée au monde ; rien dans son maintien n’annonçait une fille de campagne ; à force d’être belle, Edith était devenue grande dame à son insu : le vice-roi la regardait, comme un artiste regarde un chef-d’œuvre de marbre exhumé d’une fouille, et, en la regardant, il oubliait sa vice-royauté, son rang suprême, ses préjugés aristocratiques, ses hautes alliances de famille, enfin toutes les servitudes écrites sur le cahier des charges de la fière noblesse d’Albion.

Ce lunch fut décisif pour l’avenir du vice-roi, et d’autres ’lunchs, plus dangereux encore, suivirent le premier. La mère d’Edith ne perdait pas un signe, un geste, un mouvement du vice-roi, et lorsqu’elle jugea le moment favorable, elle dit au vice-roi, que des affaires importantes appelaient son mari sur le continent ; et que même ils partiraient bientôt tous les trois pour l’Inde, où un établissement considérable les attendait.