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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/266

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— L’émir n’a qu’une femme, la belle Mahia aux cheveux sans fin.

C’était le surnom de Mahia.

Un marchand arménien, nommé Koëb, ou Koreb, le nom importe peu, s’étant vu refuser deux fois par l’émir, résolut de tirer une vengeance terrible de ces dédains.

Il se lia d’une étroite amitié avec les domestiques de l’émir, et connut bientôt toutes les habitudes les plus secrètes de la maison. Un soir, un peu avant le coucher du soleil, Koëb, qui venait de subir un nouvel affront, après avoir présenté à l’émir la plus belle des esclaves, se déshabilla complètement et se plongea dans le Gange, comme un fakir qui veut se noyer pour monter au ciel par le chemin de l’eau. Koëb ne voulait pas se noyer : il nagea entre deux eaux jusqu’au petit golfe où s’avançait le kiosque de l’émir, et ne voyant personne au balcon, il se cacha dans un massif de tulipiers jaunes et de fleurs stagnantes de nénuphar.

Le vindicatif Arménien tenait à la main un crick à deux tranchants bien effilés. Celui qui l’aurait vu ainsi armé, ainsi posté, aurait dit : Cet homme médite un assassinat. Voilà comment toutes les conjectures sont presque toujours des erreurs.

La belle Mahia ouvrit une petite porte d’acajou qui fermait une haie vive de rosiers de Bengale, et parut sur la rive des ablutions, n’ayant d’autre vêtement qu’un sari fort léger. Elle laissa tomber le sari et avança le pied droit pour essayer la température de l’eau du Gange, comme fait une Européenne aux bains de mer.