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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/299

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heureux coup de vent coupa l’amarre de la chaloupe, et emporta d’Elbonza et sa belle-fille vers un rivage où les arbres et le soleil riaient, comme s’il n’y avait pas eu la moindre tempête sur l’Océan.

L’égoïsme brille de tout son éclat dans les grandes calamités ; le beau-père et Lilia oublièrent tous leurs compagnons pour ne songer qu’à eux. En sûreté sous les beaux arbres du rivage, ils ne songèrent pas à regarder ce qui se passait sur la mer ; leurs yeux se tournèrent vers la forêt vierge et hospitalière qui les recevait, et, déjà très-occupés de leur avenir, ils ne prirent aucun intérêt des autres ; ce qui, du reste, en pareille circonstance, est très-naturel et fort humain, quoique inhumain au premier abord.

Les forêts vierges sont toujours suspectes à cause de leur virginité : on aime à les voir peintes sur une toile, mais leur réalité matérielle rassure peu le naufragé ou le voyageur. D’Elbonza hasarda quelques pas dans la forêt du rivage et donna des signes d’inquiétude ; Lilia, toujours inébranlable dans sa fermeté, prenait un plaisir infini à voir des vols d’aras multicolores et des perruches vertes s’élever par-dessus la cime des arbres, à mesure que des pas humains violaient les mystères de ce bois.

— Il n’est pas très-prudent, — dit à voix basse d’Elbonza, — de s’aventurer ainsi dans cette forêt, il y a ou des hommes ou des animaux ; c’est-à-dire des ennemis, toujours. Mon Dieu, mon Dieu ! prenez pitié de nous ! après nous avoir sauvés de la mer, sauvez-nous de la terre.

L’homme est vraiment un être bien étrange ! il fait des sottises toute sa vie, et lorsqu’il se trouve dans un cas péril-