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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/298

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Le beau-père ne put se contraindre plus longtemps, il vint se placer, à tâtons, devant sa belle-fille, et, avec l’accent de l’ironie la mieux acérée, il lui dit :

— Accepteriez-vous le trône de la Havane, en ce moment, si on vous l’offrait ?

— En ce moment, — répondit Lilia, — je le refuserais deux fois.

Une vague énorme couvrit les deux interlocuteurs et ruissela comme un fleuve de neige sur le pont. Lilia, un instant ensevelie, reparut, belle comme Vénus Aphrodite, et ramenant sur son sein ses cheveux divisés en deux guirlandes d’ébène, tissues par le caprice de la mer.

Un naufrage était pourtant inévitable, même pour le capitaine le plus expérimenté. Le pilote manœuvrait d’instinct, et assez habilement pour doubler ce terrible cap des Roches, et faire échouer le vaisseau sur un banc de sable, dans un petit golfe voisin ; la Providence lui permit de réussir ; au moment où la proue du navire touchait le formidable écueil, un coup de gouvernail, donné dans une éclaircie de calme, fit effleurer la roche et précipita le vaisseau sur un banc de sable abrité, par les montagnes, contre le vent de la haute mer.

La secousse fut si violente que le navire s’entr’ouvrit sur sa quille ; le capitaine cria :

— Les canots a la mer !

Aussitôt le comble de l’effroi donna du courage au beau-père d’Elbonza ; il saisit sa belle-fille avec ses bras vigoureux, et l’entraîna par une brèche ouverte dans une chaloupe à flot ; le reste de la famille d’Elbonza fut oublié dans ce sauvetage, et emporté, sans doute, vers d’autres régions. Un