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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/301

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— Eh ! cher beau-père, vous vous obstinez aussi à redire toujours la même chose !

— Ma foi c’est fort naturel, Madame ; à chaque pas que je fais, je m’enfonce davantage dans un abîme, par votre faute, et vous voulez m’interdire la plainte ! Là, voyons, soyez sincère, si on venait, à présent, vous offrir, avec un bon vaisseau neuf, et par une bonne brise, l’honneur d’épouser le gouverneur de la Havane, j’espère, il me semble, que vous accepteriez ?

— Non, mon cher beau-père, je refuserais plus que jamais.

— Quoi ! à la veille d’être dévorée par un tigre ou par un cannibale ?

— Mais oui, cher beau-père ; on est dévorée un instant, mais on est mariée toute sa vie à un gouverneur !

— Mais quelle rage avez-vous donc d’être veuve ?

— Je suis fidèle à la mémoire de mon mari, votre fils ; et, si son ombre vous écoute, elle doit s’indigner de votre conduite indigne d’un Castillan.

Le beau-père, qui répondait toujours, s’arrêta brusquement, et prêta l’oreille à des bruits qui sortaient du bois.

— Entendez-vous quelque chose comme moi ? demanda-t-il à voix basse.

— Oui, j’entends un murmure confus de voix. Ce sont des hommes.

— Si ce sont des hommes, dit le beau-père, nous sommes perdus ; j’espère que ce sont des tigres.

— Eh ! les tigres ne causent pas entre eux dans les bois ; ils rugissent, et j’entends causer.