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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/302

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— Ma chère fille, ceux qui causent dans une forêt vierge sont plus dangereux que ceux qui rugissent.

— Ah ! dit tranquillement la jeune fille, — ce sont des hommes, je viens de les apercevoir.

— Arrêtons-nous, — dit le beau père d’une voix tremblante, — et cherchons un abri pour nous dérober à leurs regards… Mon Dieu ! ma chère Lilia, quelle idée avez-vous eue en refusant d’épouser le gouverneur !

— Mais ce sera donc votre refrain éternel cher beau-père ?

— Oui… éternel tant que je vivrai… et je crois que ce ne sera pas long… J’ai aperçu d’horribles formes couvertes de plumes d’aras… Là bas… dans une éclaircie… l’écho, dans ces solitudes, amène les voix de très-loin… Ce sont des sauvages… c’est une tribu qui vu, du haut de quelque éminence, notre naufrage, et qui vient, selon les mœurs atroces de ces pays, dépouiller et dévorer les naufragés.

— Oui, dit Lilia avec calme, j’ai lu les détails de ces mœurs dans le voyage de Couture.

— Lequel Couture fut dévoré.

— Non, mon beau-père, c’est lui qui dévora son nègre.

— Je sais que l’un des deux fut dévoré. — Au reste, le moment est mal choisi pour vérifier l’exactitude de la citation… Oh ! que nous serions heureux à la Havane, au palais du gouverneur ! j’espère maintenant, ma chère fille, que vous êtes revenue de votre entêtement de fidélité conjugale, en présence de la tribu de cannibales qui marche vers nous ?

— Non, mon cher beau-père.