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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/308

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voisinage de Thérésinas, établissement espagnol de peu d’importance, fondé par des baleiniers.

La sultane favorite reçut Lilia dans la hutte du harem, et on peut même dire qu’elle la reçut fort mal ; cela se conçoit. La sultane était une fort laide personne, d’un âge mûr et qui secouait un peu trop d’anneaux de laiton à ses narines et à ses oreilles. Toutefois le monarque fermait les yeux sur ces défauts naturels et ne les ouvrait que sur les qualités absentes. La sultane avait d’ailleurs un talent cité dans les gynécées de la tribu ; aucune reine, aucune princesse, aucune grande dame ne confectionnait mieux qu’elle des bottines de chasse avec des aiguilles d’arêtes, du fil du cotonnier et des peaux de chamois.

La sultane exerçait une grande domination sur l’esprit de son royal époux ; elle avait même réussi à faire chasser du harem deux jeunes rivales qui avaient donné bien des tourments à sa jalousie ; lorsqu’elle vit arriver cette Européenne blanche, son sang sauvage bouillonna dans ses veines, et elle comprit tous les dangers de sa position : Lilia lui apparut dans toute sa beauté, redoutable.

Âme de ce monde, esprit de tous les êtres, fièvre de la jalousie, tu agites toutes les zones, tu parles toutes les langues, tous les cris, tous les rugissements ; tu agites l’oiseau sur la feuille, le lion dans son antre, le sauvage dans sa hutte, le poisson stupide au fond des mers !

En voyant entrer Lilia, la sultane fit une pantomime qui signifiait :

– Que venez-vous faire ici ?

Lilia répondit que le roi avait daigné jeter sur elle un re-