Aller au contenu

Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus puissant des rois connus, daigne l’admettre dans son harem.

— À quel moment du jour vient-il ici, le roi ? — demanda l’Espagnole d’un air indifférent.

— Au coucher du soleil, — répondit la sultane, en montrant avec son doigt le soleil, en ce moment au zénith, et en étendant sa main vers l’horizon du couchant.

— Et que fait-il en ce moment, le roi ? — demanda encore l’Espagnole.

— Il s’exerce l’arc, il chasse, il dort, il reçoit les ambassadeurs des rois voisins, il adore les manitous, il joue aux trois sauts avec ses courtisans.

La sultane décrivait toutes ces choses avec la plus grande lucidité ; un sourire de Lilia témoignait toujours que chaque geste avait été compris.

Lilia poussa un soupir rempli de tristesse, phrase partout comprise, et regarda mélancoliquement le soleil.

Quand leur jalousie s’endort, les femmes sont bonnes dans tous les pays. La sultane écouta ce soupir de Lilia, et vit son regard ; au fond de ces deux choses éclatait un désespoir trop évident. Toutes les pensées du cœur n’ont pas besoin de la traduction d’une langue ; elles se laissent lire sur le visage et dans les yeux.

La femme sauvage prit la main de Lilia, et murmura quelques syllabes que leur douceur et leur sexe rendaient intelligibles à l’oreille étrangère. Lilia répondit de la même façon ; cette fois la pantomime avait été supprimée, et pourtant les désinences harmonieuses de la langue indienne et de la langue castillane, ainsi croisées entre deux lèvres de femmes,