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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/294

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LE LIVRE

à voſtre ſonge de la vigille de Sainte Crois, vueilliez ſavoir & pour certain que .iiii. jours devant ou .v. après, je fui tellement blecié en l’eſprit que je laiſſay de tous poins l’ouvrer en voſtre livre, & avoie fine eſperance en mon cuer que jamais n’y penſeroie, pour ce que je n’ooie nouvelles de vous ; & dis pluſeurs fois à pluſeurs de mes amis privez qui me demandoient que j’avoie, que vous m’aviez oublié. Et, par m’ame, je le cuidoie. Dont je juray moult tres-fort s’il eſtoit ainſi, que jamais n’ameroye autre ne ne me fieroie en femme. Dont, ainſi come par deſeſperance, je fiz unes lettres, encloſes ès preſentes, & autres choſes avecques pour vous envoier : mais je ne vorroie pour riens que je le vous éuſſe envoié adont[1]. Et ſachiez certainement que je ſongay environ la Sainte Crois que voſtre ymage me tournoit la teſte & ne me daignoit regarder, & eſtoit veſtue de vert qui ſignifie nouvelleté ; dont je fui en ſi tres-grant merencolie que nuls ne le pourroit penſer. Et à mienuit fis alumer chandeilles pour regarder ſe c’eſtoit vray, & quant je vy le contraire, je la baiſay & prins à rire & dis : Morpheus ſe moquoit de my. Et m’endormy toute nuit en penſant à vous. Et, par m’ame, ſe vous aviez Morpheus loué dix mille mars d’or, ſi ne vous pourroit-il mieus ſervir qu’il vous ſert : car, ſi toſl come la chandeille eſt eſtainte, il ſaut en place & ſe figure en toutes manieres qui me peuvent & doivent plaire, comment que paour m’eſveille aucune ſois en diſant : Longue demorée fait changier amy. Mon tres-dous cuer, voſtre frere vint à moy le jour St Michiel au matin, & me vint veoir tantoſt qu’il ot oÿ meſſe, & li fis toute l’onneur que je pos & fu par tout mon oſtel où il ne partira, ſe je puis, nullement, que je ne li face auſſi come au milleur ſeigneur & ami que j’aie en ce monde, & à ſa gent auſſi. Mon dous cuer, je ſaroie volentiers la cauſe que vous ne volez eſcrire par les gens de voſtre frere, & pourquoy vous me mandaſtes que

  1. Envoyé quand je l’avois écrite, & ſans y joindre celle-ci.