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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/295

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DU VOIR-DIT.

je n’envoiaſſe point à vous, juſques a tant que vous m’envoïſſiez le contraire. Si vous prie que vous le me vueilliez mander, car je ne penſe à envoier vers vous juſques atant que je le ſache. Mon tres-dous cuer, par m’ame, je croy bien que vous me deſirez à veoir, mais je deſire tant que je vous voie que, nés de penſer-y, j’en laiſſe ſouvent toutes autres choſes du monde. Helas ! mon dous cuer, ſe vous ne poez avoir joie ne bien ſans moy, ne nuls biens du treſor, helas ! auſſi n’en puis-je nuls avoir ſans vous ; ſi deſire tant que l’eure vieigne, que je ne le ſaroie dire ne penſer. Et, ſe Dieu plaiſt, elle venra, car il n’eſt choſe qui ne veingne. Helas ! mon dous cuer, vous me mandez que je ſoie liés & confortés de toutes choſes ; mais c’eſt trop fort à faire, quant je ſuis loing de vous. Et bien ſçay, quant je ne vous puis après veoir, un ſeul jour m’eſt .i. an ; & penſez que vous eſtes tout le bien, la joie & toute la doulceur de ce monde, à mon avis, ne ſans vous ne puis avoir bien ne joie ne douleur ; c’eſt bien fort à faire que j’éuſſe ne joie n’envoiſéure. Toutevoie je fais de neceſſité vertu, & reſſemble le meneſtrel qui chante en place & n’y a plus courrecié de lui. Et quant à voſtre honneur garder, je l’aime autant come je deſire paradis ; ne jà, jour de ma vie, ne penſeray ne feray le contraire, pour choſe qui aveigne. Mon tres-dous cuer, je voy bien que vous rejoignez à moy eſcrire, ſelon ce qu’il m’appert par lettres ; & vraiement li cuers me dit qu’il y a aucune choſe laquelle ne me volez mander, dont je ſuis bien esbahys, come deſſus vous eſcris. Et ce n’eſt mie ſans cauſe, car vous me ſouliez eſcrire couvertement, & maintenant vous me faites envoier vos lettres par eſtranges. Si ne ſçay que penſer, & ne penſe envoier à vous, juſques atant que je le ſache. Mon dous cuer, j’ay fait le chant d’un rondelet où voſtre noms eſt, & le vous envoieray par le premier qui yra à vous. Je ſuis ſi enbeſongnez de faire voſtre livre que je ne puis à rien entendre. Et ſachiez que je en fais autant .iii. fois come tient Morpheus ; & quant à ce que vous me mandez que