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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/303

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DU VOIR-DIT.

day par mon frere que vous ne n’eſcriſiez point, juſques atant que vous orriez nouvelles de moy, ſachiez que je le fis pour ce que je ne ſavoie de certain quel chemin nous tenrions, ne combien nous demorrions en chemin. Et j’avoie doubte que ſe vous envoiez vers moy, que voſtre meſſaige ne faulſiſt à moy trouver ; & ſi cuidoie de jour en jour aler ailleurs, & de là vous eſcrire de mon eſtat. Et de ce que vous eſtes esbahis de ce que je ne vous ay eſcript par les gens de mon frere, ſachiez que je le fis pour ce que je vous vouloie envoler meſſaige qui de vous m’apportaſt tantoſt certaines nouvelles ; & ſe je vous éuſſe eſcript por eus je n’éuſſe pas ſi toſt oÿ nouvelles. De ce que vous dites que je vous eſcript par gens eſtranges, je le fis tout à eſcient auſſi, pour ce que les gens, là ou nous ſommes à hoſtel, ſont ſimples gens & ne vous cognoiſſent ; ſi y pourroient penſer autre choſe qu’il n’y a ; & cils par qui je les fis bailler n’eſt pas eſtranges, car il eſt bien mes amis & me fieroie bien en luy de plus grant choſe. Et ſoiez certains que je ne le fis pour autre choſe du monde & ne doubtez mie ; car onques en ma vie je ne trouvay perſonne qui me blamaſt de choſe que je féiſſe pour vous[1]. Si, vous prie, tant acertes come je puis & ſi chier come vous avez le cuer, le corps & l’amour de moy, que vous n’aiez plus telles ſouſpeçons ſeur moy : car, par m’ame, vous ne me poez plus courrecier ou monde que de moy mettre fus ce que je ne penſay onques. Car, puis que je vous acointay, je n’os penſée de vous eſlongier, ne ne cuide mie que je l’aie toute ma vie. Et ſe vous ſaviez bien les penſées que j’ay de vous & à toutes heures, vous ne diriez mie que je vous éuſſe oublié. Car, ſe m’aïſt Dieus, je ne ſuis en nul eſtat qu’il ne me ſemble adès que je vous voie devant moy. Si ne vourroie pour nulle choſe que vous m’éuſſiez envoié les lettres qui eſtoient encloſes dedens les autres, lors-

  1. C’eſt-à-dire : je ne connois perſonne qui, juſqu’à préſent, ait pu ſoupçonner nos ſecrètes privautés.