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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/318

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[vers 5991]
LE LIVRE

Trop font de peine & de haire,
Amours & porter la haire.

Or le faites, ſil vous plaiſt, mon dons cuer, que au mains, par voſtre grace, je me puiſſe plaindre & complaindre tous ſeuls ; car, par m’ame, je ne m’ay à qui complaindre de mal ne de peine que je ſueffre pour vous. Et auſſi que, par voſtre grace, je puiſſe faire du ſentement qui me venra, ſoit de doleur ſoit de joie. Et, s’il le vous plaiſt à faire, j’en porteray plus legierement les cruautez de Fortune & mon amoureus mal ; car cils eſt trop batus qui ne s’oſe plaindre. Et, mon tres-dous cuer, encores y a pis : car ce riche treſor dont je porte la clef, j’en uſe ainſi come cils qui eſt rois, & nuls ne le ſcet que lui ; ſi n’a nul bien de ſon royaume, & reſemble Tantale qui muert de ſoif & qui eſt en l’yaue juſques au menton, & ne puet boire ; & le riche aver qui a tout le treſor du monde & n’y endure à touchier, ains a grant deffaut d’encoſte.[1] Mais ce me grieve trop que Raiſon m’a dit que Dangier[2] porte une clef de ce treſor avec moy, & que je ne le puis deffermer ſans li ; & auſſi que Argus à tous ſes .c. yeux ne fait que regarder & eſpier que nuls n’y atouche,[3] & s’il en véoit aucune choſe oſter, il le diroit tantoſt à Malebouche, qui le chanteroit à note par tous les quarrefours dou païs. Si n’y voy rien de bon pour mi, fors que Raiſon s’accorde à Bonne amour. Mais c’eſt choſe qui ne puet eſtre. Et, mon dous cuer, mes derreniers confors & refuges eſt tels que je ſcay bien que, quant il vous plaira & Dieu, avenra la bonne heure ; que vous eſtes ſi bonne & ſi douce que Dangier n’oſera groucier contre voſtre douceur. Et ſi eſtes ſi ſaige que vous endormirez Argus, ſi qu’il ne verra nez

  1. Il eſt près de ſon tréſor & a grand dénûment.
  2. Réſiſtance dans l’intérêt du bon renom, c’eſt-à-dire de l’honneur.
  3. Ne porte atteinte au tréſor d’honneur.