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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/71

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DU VOIR-DIT.

grant honneur à mi, — Quant vous m’apellez ami. — Pour c’eſt vraie amour, en mi — mon cuer qui veult que je die : — Quant vous m’apellez ami, — Bien vous doy clamer amie. Et auſſi, ma tres-chiere dame, je ne vous ſçay ne puis mercyer aſſez de la grant honneur, de la grant joie & du parfait bien que vous me faites par vos douces eſcriptures. Car, par m’ame, je prens joie, plaiſance & douce nouriture au lire ; & je les lis ſi ſouvent, que la douce ſaveur en demeure en mon cuer à toutes heures. Et ſe je eſtoie li plus vaillans & li plus ſages & li plus riches qui onques fuſt, & veſquiſſe cent mille ans, je ne porroie mie deſſervir la menre partie des biens que vous me faites. Et, ma tres-douce dame, vous dites que vous prenés grant plaiſance en ce que je vous envoie ; je doy prenre cent mille fois plus grant plaiſance en ce que vous m’envoiez ; car vos douces eſcriptures me font tous les biens, pour ce que elles me font vivre liement & joieuſement. Et comment que je ne vaille riens & ſache moins, elles me font amer honneur & haÿr deshonneur, & fuir vice, pechié & toute villenie. Si que je en amende tant que je fuſſe pieça mors, ſe vous & elles ne fuſſent. Mais choſe que je vous envoie ne vous puet amender ne embellir : car vous eſtes des dames la flour, le fruit d’onneur, l’eſtoc de bonté & de toute biauté, & ſi, avés en vous tout ce que Dieus & Nature donnent à dame bonne-eureuſe. Et comment que je aie parfaite ſouffiſance ès dons biens que vous me faites, nuls n’eſt ſi aſſevis qu’il ne li faille aucune choſe. Si vous plaiſe à ſavoir que j’ay une trop grief penſée, & une trop mortelle paour : car vous me faites vivre en paix & en joie, loing de vous ; & ſe je eſtoie en voſtre preſence, je porroie bien querir ce que je ne vorroie mie avoir. Et vez-ci la cauſe : Je ſuis petis, rudes & nices & deſapris, ne en moi n’a ſens, vaillance, bonté ne biauté, par quoy vos dous yeux me deuſſent veoir ne eſgarder ; & auſſi, je ne ſuis mie dignes de penſer à vous : ſi porroit avoir voſtre noble cuer indignation contre moi, & lui repentir des dous biens que