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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/79

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DU VOIR-DIT.

S’en plaing & pleur & ſouſpir en recoy,
Quant ſur tout l’aim & ſouvent ne la voy.

Et quant elle vit mon meſſage,[1]
Elle, com bonne, aperte, & ſage,
Moult longuement ne muſa mie,
Ainſois fiſt comme bonne amie ;
Car en l’eure me volt reſcrire
Ces lettres que cy orrés lire :


III. — Tres-chiers & dous amis, je vous mercie de vo douces & amiables eſcriptures : car, par ma foy, c’eſt la choſe qui ſoit en monde où je preng plus grant plaiſir, que de veoir & de oÿr tout ce qui vient de vous ; & le plus grant deſir que j’ay, ce eſt de vous veoir. Et ſe je peuſſe aler par pays ainſi com fait uns homs, je vous promez loyaument que je vous véiſſe bien ſouvent. Mais je me merveille moult de la doubte en quoy vous eſtes de venir en ma preſence, pour penſée que je ne vous en aimme moins ; car vous ſavez bien que je ne vous viz onques & que je ne vous aimme point pour biauté ne pour plaiſance que je véiſſe onques en vous, ains vous aime pour la bonté & bonne renommée de vous ; & ſi ay tant enquis de voſtre eſtat, que ſe je eſtoie .c. fois meilleurs de toutes bontés que je ne ſuis, ſi ſuis-je certaine que vous eſtes bien ſouffiſans d’avoir meilleur que je ne ſuis. Si vous pri, tres-dous amis, que vous ne ſoiez en doubte ne en penſée que en toute ma vie je me doie repentir de vous amer & de faire tout ce que je faray qui vous plaira ; car vous ſavés qu’il a eſté maint amant qui amoient ce qu’il n’avoient onques veu, par les biens qu’il en ooient dire, & depuis, venoient à perfection de loial amour ; ſi comme fiſt Artus de Bretaigne & Florence la fille au roy Emenidus,[2] & maint autre dont je

  1. C’eſt-à-dire la première réponſe, no II.
  2. Le roman d’Artus de Bretagne, compoſé au quatorzième ſiècle,