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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/275

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P. PERRAULT

« Je serais bien embarrassé de le dire à monsieur et je crois que les autres le seraient tout autant. C’était une telle bousculade ! On ne savait à qui entendre… »

Il réfléchit quelques secondes et reprit :

« Il me semble que si on s’était adressé à moi, je m’en souviendrais, tout de même : non, non, personne. Je n’ai pas entendu prononcer le nom de monsieur.

— Voyez donc auprès de vos camarades ; je suis à peu près certain qu’on est venu. »

La question passa de bouche en bouche, mais la réponse fut la même partout.

En la rapportant à Marcenay, le garçon observa :

« Nous avions hier quinze employés du dehors ; on a pu s’adresser à l’un d’eux. »

Et, riant :

« On aura été bien renseigné dans ce cas.

— On l’aura été assez bien, pensa Pierre, puisqu’on a pu arriver jusqu’à moi. »

Mais il n’insista pas davantage, et, dès que l’heure le lui permit, il se rendit aux nouvelles chez M. Réhot.

Elles étaient négatives. Aucune des procurations données antérieurement au 7 juillet 1863 ne se rattachait à un versement d’argent.

« En voici la liste », ajouta le notaire.

Et, mettant sous les yeux de Marcenay une page chargée de notes :

« J’ai même été au delà du 7 juillet, pensant que la procuration avait pu être enregistrée avec quelques jours de retard. »

Pierre se sentit moins déçu qu’il ne l’eût été la veille. Qu’importait cette absence de renseignements à Niort, si, à Paris, M. Aubertin devait les lui fournir ?

Mais lui, M. Aubertin, avait-il gardé ici des relations d’amitié ! Y revenait-il de temps à autre ?

Ces questions se posaient dans l’esprit du jeune homme, suite logique de l’incident de la nuit.

Pour que le nom de Philippe Aubertin lui eût été donné comme le sésame d’une si vieille histoire, il fallait que l’on fût bien au courant de sa vie.

Et, presque inconsciemment, il laissa tomber de ses lèvres cette interrogation qu’il se posait à lui-même :

« M. Aubertin n’aurait pas été un client de l’étude, autrefois ?

M. Philippe Aubertin ? s’écria le notaire, manifestant une vive surprise.

— Lui-même. Son fils est mon plus intime ami ; il est de mon âge, à peu près, et il est né à Niort. Au moment où se sont passées ces choses, M. Aubertin devait encore y habiter…

— Cela ne me paraît avoir aucun rapport avec ce qui nous occupe », observa M. Réhot, nullement convaincu de ce qu’il avançait, obéissant au seul désir de pousser Pierre à définir sa pensée intime.

Celui-ci de son côté se demandait :

« Lui dirai-je quelle raison j’ai de m’informer du père de Marc ? Je n’ose pas… Il va me croire fou, visionnaire tout au moins. »

Et, tout bien réfléchi, il se borna à répondre :

« Aucun rapport… c’est vrai…

— Il m’est tombé sous les yeux, à l’enregistrement, le nom de M. Philippe Aubertin, reprit le notaire après avoir un peu hésité. Eh ! non, il n’était pas un client de mon étude. C’est par M. Denormand, aujourd’hui retiré des affaires, qu’a été dressé l’inventaire dont la teneur… »

Il s’interrompit et, se mettant à rire :

« Un peu plus, je trahissais le secret professionnel. C’est tout à fait bizarre, cette coïncidence… Voyez donc M. Denormand. Sans lui rien dire de notre entretien, ni de mes recherches, qui doivent demeurer secrètes, — je m’y suis engagé, — présentez-vous chez lui comme vous vous êtes présenté chez moi et racontez-lui exactement ce que vous m’avez confié.

— Vous avez un motif de me conseiller cette démarche ?

— Oui, mais je ne peux vous le dire. Nous ne devons connaître des actes de nos confrères que ceux qui nous sont communiqués ; j’ai obtenu de mettre le nez dans les vieilles archives de l’enregistrement par faveur spéciale, et sur la promesse de m’en tenir à ce qui m’intéressait.