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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/72

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incivilisés, étaient à peu près nus. Sa Majesté elle-même ne se montrait guère plus vêtue que ses sujets. Mais une chemise d’indienne, dont le capitaine Bourcart lui fit présent, et dans les manches de laquelle il s’obstina tout d’abord à passer ses jambes, ne tarda pas à voiler sa nudité royale.

Les pirogues envoyées à terre, sur le conseil de l’Anglais, rapportèrent un chargement de noix fraîches, cueillies à même les cocotiers.

Le soir, à la tombée du crépuscule, le Saint-Enoch vira de bord, afin de ne pas rester près de la terre, et il louvoya toute la nuit.

Dès l’aube naissante, le capitaine Bourcart reprit son mouillage de la veille. Les indigènes fournirent au maître d’hôtel une vingtaine de tortues de belle espèce, autant de cochons de petite taille, de la volaille en quantité. Ces provisions furent payées en objets de pacotille dont les Samoans font le plus grand cas, principalement de mauvais couteaux à cinq sols pièce.

Trois jours après le départ, les vigies signalèrent une troupe de cachalots, qui s’ébattait à quatre ou cinq milles par bâbord devant. La brise soufflait faiblement, et le Saint-Enoch gagnait à peine vers le large. Il était déjà tard, près de cinq heures. Cependant le capitaine Bourcart ne voulut pas perdre cette occasion de donner la chasse à un ou plusieurs de ces animaux.

Deux pirogues furent amenées sur-le-champ, celle de Heurtaux et celle de Coquebert. Ces officiers, leurs harponneurs, leurs matelots, y prirent place. À force d’avirons, la mer n’étant gonflée que d’une longue houle, elles se dirigèrent vers le troupeau.

Du haut de la dunette, le capitaine Bourcart et le docteur Filhiol allaient suivre non sans intérêt les péripéties de cette pêche.

« Elle est plus difficile que la pêche de la baleine, fit observer M. Bourcart, et aussi moins fructueuse. Dès que l’un de ces cachalots a été harponné, on est souvent contraint de larguer la ligne, car il plonge à de grandes profondeurs avec une extrême rapidité. En revanche, si la pirogue a pu se tenir sur la ligne pendant la durée du premier plongeon, on a la presque certitude de capturer l’animal. Une fois remonté à la surface, il y reste, et le louchet et la lance l’ont bientôt achevé. »

C’est ce qui arriva en cette circonstance. Les deux pirogues ne purent amarrer qu’un seul cachalot de moyenne taille, et il en est dont la longueur dépasse celle de la baleine franche. Comme la nuit commençait à venir et que des nuages se levaient dans l’est, il eût été imprudent de s’attarder. Aussi, pendant la soirée, l’équipage s’occupa-t-il de virer l’animal.

Le surlendemain, il n’y eut pas lieu de se remettre en pêche. Les cachalots avaient disparu, et le Saint-Enoch, servi par une fraîche brise, reprit sa route au nord-est.

Ce jour-là apparut un navire qui suivait la même direction à trois ou quatre milles sous le vent. C’était un trois-mâts-barque, tout dessus, dont il eût été impossible de reconnaître la nationalité à cette distance. Cependant la forme de sa coque, quelques détails de la voilure permirent de croire qu’il était anglais.

Vers le milieu de la journée se produisit une de ces rapides sautes de vent de l’ouest à l’est qui sont très dangereuses par leur violence sinon leur durée, et risquent de mettre un navire en perdition, s’il n’est pas préparé à les recevoir.

En un instant, la mer fut démontée, des paquets de houle tombèrent à bord. Le capitaine Bourcart dut prendre la cape afin de tenir tête à la rafale sous le grand hunier, la misaine et le petit foc.

Pendant la manœuvre, l’un des matelots Gastinet, s’étant pomoyé jusqu’au bout dehors du grand foc pour dégager une des écoutes, manqua des deux mains et tomba.

« Un homme à la mer ! » cria aussitôt un de ses camarades qui, du gaillard d’avant, venait de le voir s’enfoncer sous les eaux.

Tout le monde fut sur le pont et M. Bourcart gagna précipitamment la dunette afin de diriger le sauvetage.

Si Gastinet n’eût pas été bon nageur, il aurait été perdu. La mer brisait avec trop