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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/71

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de la baie des Îles. À cette époque, il est vrai, les agressions n’étaient que trop fréquentes en d’autres points de l’archipel. Les colons devaient lutter contre les Néo-Zélandais, et, ce jour même, un aviso anglais venait de quitter le port pour aller réprimer quelques tribus hostiles.

Quant aux officiers et aux matelots du Saint-Enoch, ils n’eurent point à se plaindre durant cette relâche. Reçus partout hospitalièrement, ils entraient dans les cases, on leur offrait des rafraîchissements, non point de la limonade ou de la bière — les indigènes n’en font pas usage, — mais d’excellentes pastèques, dont les jardins regorgeaient, et aussi des figues non moins bonnes qui pendaient à les rompre aux branches des arbres.

M. Bourcart ne resta que trois jours dans la baie des Îles. Sachant que les baleines délaissaient ces parages, il prit ses dispositions pour une assez longue traversée qui ne compterait pas moins de quatre mille milles.

En effet, c’était à la baie Sainte-Marguerite, sur la côte de la Basse-Californie, que le Saint-Enoch irait achever une campagne, si heureuse à son début.

Et, lorsqu’on le répétait au tonnelier :

« Le commencement est le commencement…, murmurait entre ses dents Jean-Marie Cabidoulin. Attendons la fin…

— Attendons la fin. » répondait maître Ollive, en haussant les épaules.


IV

À travers le Pacifique


Le 3 avril, dans la matinée, le Saint-Enoch abandonna le mouillage de la baie des Îles. Il ne manquait plus à son approvisionnement que des noix de coco, de la volaille et des porcs. N’ayant pu s’en procurer aux deux dernières relâches à la Nouvelle-Zélande, le capitaine Bourcart se proposait de toucher à l’une des îles de l’archipel des Navigateurs, où ces objets de consommation ne font pas défaut.

Le vent soufflait en bonne direction, et les neuf cents milles qui séparent Ika-Na-Maoui du tropique du Capricorne furent franchis en une huitaine de jours, grand largue, amures à bâbord.

Ce jour-là, 12 avril, en réponse à une question que lui posait le docteur Filhiol, M. Bourcart dit :

« Oui, c’est peut-être à cette place, par le vingt-troisième parallèle et le cent soixante-quinzième méridien, que l’océan Pacifique accuse ses plus grandes profondeurs. Au cours de sondages qui ont été exécutés à bord du Penguin, on a dévidé quatre mille neuf cents brasses de ligne sans atteindre le fond…

— Je croyais, fit observer M. Filhiol, que les fonds les plus considérables se rencontraient dans les mers du Japon…

— Erreur ! déclara le capitaine Bourcart, et, ici, ils l’emportent de deux cent quarante-cinq brasses, ce qui donne, au total, neuf mille mètres…

— Eh ! répondit le docteur Filhiol, c’est l’altitude qu'atteignent les plus hautes montagnes du globe, celles de l’Himalaya : huit mille six cents mètres, le Dhwalagiri du Nepal ; neuf mille, le Chamalari du Boutan !

— Voilà, répliqua M.Boucart, une comparaison de chiffres qui ne laisse pas d’être instructive…

— Elle démontre, capitaine, que les plus hauts reliefs de la terre n’égalent point ses abîmes sous−marins. À l’époque de formation, lorsque notre globe tendait à prendre sa figure définitive, ses dépressions ont acquis plus d’importance que ses soulèvements, et peut-être ne seront-elles jamais déterminées avec quelque exactitude. »

À trois jours de là, 15 avril, ayant eu connaissance des Samoa, archipel des Navigateurs, le Saint-Enoch vint jeter l’ancre à quelques encâblures de l’île Savai, qui est une des plus considérables de ce groupe.

Une douzaine d’indigènes, accompagnant leur roi, se rendirent à bord avec un Anglais qui servait d’interprète. Ces naturels, très