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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/116

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LA LUXURE DE GRENADE

— Je savais bien que tu viendrais, mais pourquoi est-ce à cette heure qui appartient à un souvenir qui m’est cher ? Mais pourquoi surtout n’es-tu pas venu seul ?

Almazan chercha des yeux autour de lui avec surprise. Les allées étaient vides et silencieuses.

— Il y a un Genni qui t’accompagne et nous ne pouvons pas nous comprendre, lui et moi. Il paraît que tu as acquis une grande science depuis que nous avons causé ensemble, sur un mirador en face de la mer, à Malaga. Tu guéris les plaies des jambes mais peut-être es-tu très ignorant pour certaines blessures subtiles de l’âme. Assurément tu vas rire quand tu sauras que je rends hommage à un incomparable artiste nocturne, à un poète délicat qui m’a aimée, à un musicien exalté par les rosées lunaires et le vin que la nuit dépose dans le calice des lys.

Défaillante, elle levait sa darboukah comme pour prendre les étoiles à témoin.

— Oui, rien qu’un rossignol ! mais ma pensée monte vers lui aussi légère que la prière entre les saintes collines Safah et Mervah. Retire-toi. Même si ce poète rendu à la vie avait repris sa place sur le magnolia qui ombrage ma fenêtre, même si ce prince avait remis son plumage d’or fondu et d’ardoise brûlée, même si ce musicien recommençait à frapper le cristal avec la perle, tu ne comprendrais pas ce qu’il dirait. Peut-être un autre jour aurai-je du plaisir à m’entretenir avec toi. Mais ce soir éloigne-toi vite.

Elle parlait comme si elle avait reçu une offense et elle s’éloigna sans se retourner.