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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/176

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LA LUXURE DE GRENADE

salles de l’Alhambra se remplirent de rumeurs Le Hagib qui, seul, aurait pu intervenir, était absent. Un eunuque qui était ivre ou à qui la peur avait fait perdre la raison se mit à courir, une torche à la main, en criant des paroles incompréhensibles. Puis tout à coup, à travers les couloirs et les jardins, passa comme un souffle, une sorte d’angoisse qui fit que chacun se tut et attendit.

Mais dans la salle des roses où s’entassaient les morts et où une folie sanguinaire possédait les âmes, Tarfé ne vint pas. Le muet Ali était pourtant allé dans sa maison et lui avait remis en mains propres un amical message d’Abul Hacen, le conviant à venir entendre des chanteurs à l’Alhambra. Cette invitation n’était anormale que parce qu’elle était écrite de la main même de l’Émir au lieu de celle d’un de ses scribes.

Tarfé était au pied de l’escalier de son palais et son père, le vieil Ali-Hamad, se tenait à côté de lui. Il lui montra non sans orgueil, la grande feuille de parchemin, avec le sceau de l’Émir et il prit son manteau pour sortir.

Mais alors Ali, qui était demeuré immobile, étendit la main. Le chef de la famille des Almoradis et son fils Tarfé ne saisirent pas tout d’abord la cause de ce geste. Ils considérèrent le bras étendu d’Ali, et ils s’interrogèrent l’un l’autre du regard. Mais quand leurs yeux se furent portés sur le visage du muet, ils comprirent. Ce visage reflétait la pitié, la tristesse des âmes simples, qui ne s’expliquent pas la haine et s’efforcent de la limiter quelquefois par une invisible bonne action.