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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/193

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LA LUXURE DE GRENADE

lier après une cérémonie funèbre ? Et pourquoi ce nuage, tout à coup sur la lune, comme un morceau de crêpe dans un océan d’azur ? Et pourquoi ce cri de la chouette, si inusité, si long, si déchirant ? Et pourquoi, d’un pin parasol, se détacha-t-il une pomme ? Et pourquoi cet allongement des allées blanches, ce chuchotement des cyprès, cette langueur des colonnades, ce mystère ambiant, ce désespoir inexprimé, ce silence d’angoisse ?

Non, Khadidja n’hésitait pas, mais elle aurait préféré que les jardins bien-aimés participassent à son allégresse. Elle s’approcha du bassin des iris et elle considéra le premier des douze jets d’eau de ce bassin, celui qu’elle aimait le plus, auquel elle supposait un cœur plus fraternel que les autres. Elle aurait voulu que ce danseur blanc, sous l’éblouissante cascade de son costume, eût vers elle une inclinaison joyeuse, une pirouette approbatrice, un sourire de cristal parmi sa large collerette de gouttes d’eau. Il demeura plein de langueur et comme ennuyé. Décidément, les jardins boudaient. D’un geste rapide, Khadidja prit un de ses colliers d’émeraudes et le lança au cou du jet d’eau. Elle se conciliait, par ce présent, tout le peuple des danseurs insensés.

Mais pourquoi la petite porte basse, quand le garde marocain la referma, fit-elle le bruit que font les portes où l’on ne passera jamais plus ?

Khadidja avait dû intimider les deux porteurs de la litière car, en la voyant, ils avaient eu l’air de n’en pas croire leurs yeux. Mais ils étaient partis pourtant d’une façon étonnamment rapide. Khadidja entendait le bâton du coureur qui précédait la litière,