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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/203

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LA LUXURE DE GRENADE

étroit par où venaient des bouffées d’air frais. Lorsque le judas eut sauté et que la porte fut près d’éclater, Khadidja se traîna dans cet escalier et elle referma derrière elle une nouvelle porte.

Le cri de victoire des lépreux, faisant irruption dans la salle des armes, fut suivi d’un hurlement de rage et du même bruit de serrure secouée et de coups frappés. Suivie par ce tumulte, Khadidja défaillante et s’aidant de ses mains, gravit encore quelques marches.

Et tout à coup elle sentit que sa chevelure s’envolait autour de sa tête. Elle était enveloppée par la fraîcheur du vent et la clarté du ciel. Elle avait atteint la dernière terrasse de la tour et tous les parfums des jardins de Grenade arrivaient de loin jusqu’à elle comme le message subtil de son passé. Les étoiles familières éclataient au-dessus de son front. Elle crut voir se gonfler la pulpe des magnolias, danser les jets d’eau fous, méditer les cyprès. Elle se pencha avidement vers la nuit.

De la hauteur où elle se trouvait, la ville muette des lépreux ne faisait qu’une faible tache d’ombre. La plaine de la Vega, sous la clarté extraordinaire de la lune, était comme une hallucinante nappe d’argent, un lac mystérieux, où surgissaient ici et là les masses des meules, comme d’immobiles navires d’or, les bouquets d’arbres, comme des îlots battus par une mer de silence, les coupoles des maisons comme des cygnes fabuleux endormis pour l’éternité. Très loin, elle voyait l’énorme cercle de Grenade, avec ses mille trente tours où vivaient des fanaux rougeâtres comme des yeux innombrables et