Aller au contenu

Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
LA LUXURE DE GRENADE

tristes. Par delà la ligne des remparts, il y avait un entassement de terrasses superposées, de miradors, de tourelles et de colonnades. Les maisons avaient l’air de monter les unes sur les autres, elles s’accumulaient aux flancs de la colline de l’Alhambra, jusqu’à l’Alhambra lui-même, qui dominait Grenade et l’écrasait de sa membrure carrée, de ses tours dressées comme des cornes. Et toute la ville, avec cet Alhambra redoutable, avait l’air d’une bête monstrueuse comme celles qui tomberont sur la terre quand l’ange Israfil annoncera le jugement dernier. La lune livide faisait parfois reluire les porcelaines d’un dôme comme des écailles, montrait l’ouverture d’une mosquée comme une mâchoire et un alignement de piliers comme des dents. C’était là la bête terrestre dont l’haleine est la souffrance et qui digère inlassablement l’amour et la haine des hommes.

Et soudain, Khadidja vit se mouvoir la bête énorme. Elle tournait au fond de l’horizon et parfois elle disparaissait comme si elle avait plongé dans un flot lunaire.

Puis elle émergeait pour courir encore, faire étinceler ses griffes, ouvrir ses gueules, allonger ses dents. Mais cette bête n’effrayait pas plus Khadidja que le tumulte croissant derrière la porte de l’escalier par lequel allaient surgir les lépreux. Elle était balancée avec la tour dans un espace vertigineux. Elle était très loin, très haut parmi l’inaccessible azur, dans une région de cristal glacé et de saphir mort, dans une incomparable solitude plus terrible que les effrois terrestres, plus torturante que les enfers.