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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/236

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LA LUXURE DE GRENADE

dans la chambre de vogue, descendit en torrent dans la coursie, roulant les comites, assommant les galériens enchaînés à leur banc. « La Bannière du Prophète » ne fut plus qu’un ponton désemparé où tanguait encore une coulevrine, comme un serpent de bronze, où retentissait de ci de là une invocation à Allah ou un cri de douleur.

Alors du château d’avant qui était demeuré intact, sortit l’Émir Daoud, plus pâle que son turban et sa gandourah de soie. Son esprit se réveillait du sommeil dans lequel il avait été plongé. Il arrivait après un long voyage dans le rêve au milieu de cette catastrophe.

Il tenta d’avancer sur le pont en s’accrochant à des cordages, à des fragments de bastingages, à des morceaux de mâts. Il comprit que les lames l’emporteraient, il revint en arrière et pénétra dans la coursie qu’il franchit dans toute sa longueur, avec de l’eau jusqu’aux genoux. Mais arrivé à la poupe, il constata que le timon était cassé, que la galère ne pouvait plus être gouvernée et il entendit le grondement des vagues à travers les chambres de la cale. Ce grondement devenait plus sourd et l’eau montait dans la coursive. Il se décida à la traverser à nouveau pour revenir dans la cabine d’avant.

Mais le chemin était bien plus long. Il avait à sa droite et à sa gauche les forçats de la chiourme en contre-bas, liés par le pied à leur banc, contorsionnés par l’effort qu’ils avaient fait quand les flots les avaient assommés ou noyés. Ceux qui étaient morts exprimaient, les uns une misère sans nom, les autres une résignation pitoyable, les autres une rage im-