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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/246

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LA LUXURE DE GRENADE

Boabdil. Tu ne peux plus compter sur personne.

Abul Hacen essaya de reconnaître à travers les barreaux de la fenêtre, le visage de l’homme par qui s’exprimait la destinée inexorablement contraire. Son cœur battait violemment. Il se pencha sur son cheval.

Mais alors cette étroite fenêtre dans la muraille se mit à tourner, elle éclata comme un soleil, elle s’agrandit démesurément, elle se confondit avec les remparts, avec la ville et le ciel du soir. Et cette masse lumineuse se ternit, devint grise, puis sombre, se changea en de compactes ténèbres.

— Ainsi Allah le veut ! dit l’Émir, et il fit tourner son cheval.

Dans l’incertitude de son âme, il ne confia pas à ses compagnons qu’il avait perdu la vue, plus précieuse pour lui que la ville de Grenade. Il avait fait signe à Feghani de marcher devant sur la route de Salobrena, sachant que son cheval suivrait celui de son compagnon sans qu’il lui donnât de direction.

Mais, de même que la perte d’Isabelle, ce nouveau malheur ne lui apportait pas le désespoir auquel il aurait pu s’attendre. La nuit qui venait lui envoyait des bouffées d’un vent frais au visage et à mesure qu’il avançait, un grand calme descendait en lui. Il lui sembla qu’il avait accompli un long voyage et qu’il était enfin arrivé au port. Il cessa même d’écarquiller les yeux, en les fixant à droite et à gauche, dans l’espoir qu’il distinguerait encore les contours des choses. Il baissa la tête, ferma les paupières et il s’aperçut qu’il voyait.

Il voyait le royaume de l’esprit plus beau que le