Aller au contenu

Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
246
LA LUXURE DE GRENADE

dentelles des Alcazars. Des prophètes ascétiques prêchaient, des pèlerins se mettaient en route, des muezzins clamaient dans l’espace les formules de la prière, des Khalifes couverts de pierreries recevaient des ambassadeurs. Les dynasties se succédaient. Les Almoravides voluptueux regardaient tourner des danseuses en écoutant des vers d’amour et des musiques de darboukahs. Les austères Almohades, au milieu d’un cercle de moullahs levaient dans leurs mains sans bagues des Korans grossièrement reliés. Abdérame le Sage rendait la justice, Almanzor le cavalier traversait des plaines, Al Hakem, le constructeur de ponts, scrutait l’eau des fleuves. À la fin, Abul Hacen vit plusieurs Émirs qui lui ressemblaient par les traits du visage. C’étaient ses ancêtres les Nasrides et parmi eux il distingua le grand Muhamad Alhamar avec sa mince barbe grise et sa gandourah déchirée comme le symbole de la simplicité de ses mœurs.

Mais le dernier des Nasrides était un gros homme ridicule, bouffi d’orgueil, aux yeux pétillants de luxure. Et dans ce gros homme il se reconnut. Il se vit pour la première fois tel qu’il était, avec ses bajoues jaunes, son crâne chauve, son ventre énorme et il faillit rire de cette caricature d’Émir. Et les événements qui n’étaient pas encore arrivés, mais dont les causes étaient générées par sa folie, se déroulaient aussi devant ses yeux. Les villes étaient prises une à une, les bûchers chrétiens flambaient sur les places publiques, il voyait la grimace de ceux qu’on torturait parce qu’ils ne voulaient pas renier leur foi, et l’expression désespérée de ceux qui l’avaient reniée.