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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/249

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LA LUXURE DE GRENADE

À côté était étendue cette belle fille espagnole pour laquelle il avait perdu le royaume de Grenade, nue et les yeux fermés, sur une peau d’ours. Ce n’était pas de volupté qu’elle avait les yeux clos. C’était pour ne pas le voir, à cause du dégoût qu’il lui inspirait. Et sous une veste de fourrure blanche et un turban d’hermine, il l’apercevait au loin fuyant à cheval avec Almazan. Mais il n’en souffrait pas. Il n’avait pas non plus de remords.

Tout se déroulait dans un ordre prévu. Les civilisations accouraient du fond de l’horizon, elles emplissaient les royaumes, elles y jetaient mille lumières. Puis ces lumières pâlissaient. Les hommes naissaient plus raffinés, plus avides de jouir, moins volontaires et ils étaient balayés par des races nouvelles. Lui, l’Émir coupable, n’avait été qu’un instrument dans la main d’Allah. Il l’avait servi par sa sottise, comme ses aïeux par leur courage. La vie était un immense enchevêtrement de causes et d’effets où chacun avait sa place marquée et où les vertus et les vices, les sagesses et les folies se mariaient, comme les couleurs d’un tableau et avaient la même utilité.

Le vent qui passait sur lui était maintenant plus froid parce que la route traversait des montagnes. Les chevaux étaient las et soufflaient. On entendait le bruit des lances que les cavaliers laissaient traîner parmi les pierres. Des oiseaux de nuit brusquement dérangés faisaient des battements d’ailes dans les branches.

Soudain Feghani s’arrêta. L’endroit où on était arrivé dominait plusieurs vallées et on pouvait aper-