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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/268

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LA LUXURE DE GRENADE

les habitants. Beaucoup, qui étaient affaiblis par la mauvaise nourriture, tombaient dans la rue frappés d’insolation. On vit une sentinelle, sur la plate-forme, au sommet de la tour d’Abdérame, demeurer toute une journée immobile, appuyée sur son arquebuse. Vers le soir, des arbalétriers espagnols qui s’étaient avancés à quelque distance de là lui lancèrent des flèches, sans qu’il interrompît sa méditation. Le soleil l’avait tué depuis longtemps et quand la nuit fut venue ceux qui aspiraient la fraîcheur sur leurs terrasses se montraient encore sa silhouette découpée dans le ciel.

Quelquefois un boulet espagnol enflammait une maison. Mais le bruit courait que la seule chaleur du soleil suffisait pour provoquer des incendies et dans l’atmosphère embrasée on vivait dans la perpétuelle appréhension du feu.

Au supplice de la soif s’ajouta celui de la faim. Les boutiques des marchands de comestibles étaient fermées. Chacun vivait avec ce que sa prudence lui avait fait emmagasiner chez lui. Les imprévoyants mendiaient ou attendaient en longues files les distributions de vivres devant l’Alcazaba. Il y en avait qui mouraient de faim, stoïquement, dans leur maison. On ne les voyait plus. On n’apprenait leur mort que par l’odeur de décomposition qui s’échappait de leur porte. Et comme on mourait aussi des fièvres et de toutes sortes de maladies dont les virulences avaient redoublé, le nombre de ceux qui périssaient allait en augmentant, si bien que cette odeur de pourriture des morts, filtrant des seuils, planant sur les terrasses, traînait dans toutes les rues, était