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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/272

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LA LUXURE DE GRENADE

à demi. C’était une forme humaine. Les poissons en avaient dévoré la face, mais au cramoisi des vêtements que l’eau n’avait pu décolorer, Almazan reconnut que c’était là ce qui restait de Tarfé.

Plein d’horreur, dans l’aurore naissante, il dut recharger ce corps sur la barque et ramer pour le jeter le plus loin possible du rivage.

À partir de ce jour, il ne descendit plus les escaliers des jardins et il n’alla plus vers la mer.

Il s’efforça de ne plus penser. Il se savait déchu et il était résigné à sa déchéance. Le désir du corps d’Isabelle le tourmentait perpétuellement. Il l’aimait avec d’autant plus de fureur qu’il sentait quelque chose en elle lui échapper.

Un jour, il quitta la grande salle du marché où l’on avait entassé des blessés et il rentra chez lui à l’improviste. Isabelle n’était pas là. Il appela les servantes. Celles-ci balbutièrent, elles ne savaient rien. Il les menaça inutilement.

Alors, rempli d’inquiétude, il partit à sa recherche. Le soleil était plus implacable que jamais et les pierres elles-mêmes avaient l’air de souffrir. Il fut entouré d’un groupe de gens hâves qui parcouraient les rues en demandant la reddition de la ville. Ils le reconnurent comme un membre du Conseil des Douze et ils crièrent :

— Du pain ! Du pain pour nos enfants !

Il eut du mal à leur échapper.