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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/73

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LA LUXURE DE GRENADE

chée comme un lys dont le calice est trop pesant pour sa tige et toutes les fois qu’elle bougeait, les émeraudes dont elle était recouverte faisaient, en s’entre-choquant, une musique précieuse.

Elle avait fait s’enfuir le papillon hors de l’allée afin qu’il fût plus en sûreté parmi les massifs d’orangers, car elle ne pouvait supporter l’idée de la mort d’un être vivant, sans pleurer. Récemment, elle était restée deux jours enfermée dans sa chambre, refusant toute nourriture, parce qu’elle avait trouvé sur sa fenêtre le petit cadavre d’un rossignol.

Quand le papillon eut disparu, elle fixa sur l’émir ses immenses yeux verdâtres, qui étaient de la même couleur que ses émeraudes et elle lui dit indulgemment et comme dans un songe :

— Oui, oui, j’aime beaucoup tout ce que vous me dites.

Mais l’Émir savait qu’elle n’avait pas entendu ses paroles et il pensa que peut-être elle ne le voyait même pas.

La princesse Khadidja pensait toujours à autre chose. Elle se remémorait des poésies d’El Motannabi ou d’Abou Nowas qui étaient ses poètes préférés, ou bien elle composait elle-même quelque strophe qu’elle recopiait ensuite sur un livre en parchemin de Samarcande relié en or, que lui avait envoyé le sultan d’Égypte et qui avait été enluminé pour elle par un célèbre artiste de Damas. Puis, en se promenant et en causant, elle entrevoyait, disait-elle, les images confuses et très belles de certains êtres qu’elle appelait ses Gennis et avec lesquels elle s’entretenait par la pensée. Elle mettait toutes ses distractions,