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LA LUXURE DE GRENADE

si transparentes que Khadidja les aurait aisément comprises si elle avait écouté. Elle n’y prêtait pas d’attention parce qu’elle savait que le noble Émir avait été amoureux de toutes les femmes qu’il avait approchées et méconnu de toutes à cause de la mauvaise destinée qui, en matière sentimentale, n’avait pas cessé de s’acharner sur lui.

Il avait une grande fortune, il s’était illustré dans les guerres contre les chrétiens et il portait le titre admirable d’Émir de la mer, qui lui conférait le commandement de toutes les flottes du roi de Grenade. Mais l’amour seul l’occupait.

Il commença à réciter ces vers d’Ibn el Dahane :

— Sous les amandiers en fleurs, elle a pleuré et avec sa paupière, elle m’a blessé le cœur.

Mais il s’arrêta. Il étendit le pan de sa robe en brocart blanc, il tenta de faire prendre à Khadidja une allée qui tournait à droite.

La silhouette rigide de la sultane Aïxa venait d’apparaître à quelques pas d’eux. Elle affectait la nonchalance pour déguiser le caractère anguleux de son torse et elle s’appuyait sur son fils Boabdil, un jeune homme de vingt ans, au front anormalement large, au regard faux, presque sans lèvres.

Aïxa était surnommée la Horra, c’est-à-dire la chaste, à cause de la pureté affectée de ses mœurs. Négligée par Abul Hacen, elle avait vécu solitaire, dans l’Alhambra, se consacrant à son fils qu’elle aimait d’un amour sauvage. Elle avait, toute sa vie, proscrit autour d’elle les parures, le plaisir et même l’amour. Une fois, elle avait fait mourir sous le fouet une servante, surprise par elle entre les bras d’un