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Page:Magre - La Tendre Camarade, 1918.djvu/48

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LA TENDRE CAMARADE

peu flétri, il est doux et indulgent. Vêtu d’une longue robe chinoise, il vit sur ses matelas cambodgiens, avec ses livres et ses pipes, à la clarté de la petite lampe de la fumerie.

Il a perdu une jambe à la guerre, mais on pourrait le visiter très longtemps et l’ignorer toujours, car on ne l’aperçoit que couché, sous les soieries où sont brodés les dragons, faisant éternellement des pipes, du même geste, avec l’aiguille d’argent.

Il ignore le désir des femmes. Il est d’une courtoisie extrême avec elles quand il les reçoit, mais jamais, même très tard, à l’heure où l’opium a créé la grande sympathie, il ne les effleure d’un geste. On dit qu’il y a eu jadis dans sa vie un drame pour une congaï qu’il a beaucoup aimée, mais personne n’en est bien sûr.

« L’amour de l’homme pour la femme, dit-il, est, comme le soleil, un élément néfaste du monde. Nous devons tendre également, pour être supérieurs, vers la nuit et vers la chasteté. »

Mais quelquefois dans ses yeux clairs, durant une seconde, passe une lumière chaude et vivante qu’éteint aussitôt la fumée bleue et noire qu’il souffle longuement comme un souvenir.