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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/100

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du soleil à travers le ciel, l’homme primitif imagine des rhapsodies constructives. Aux yeux des adeptes de cette école, tout mythe aurait pour noyau ou ultime réalité tel ou tel phénomène naturel, soigneusement incorporé dans un conte, souvent à un point tel qu’il s’en trouve complètement masqué et oblitéré. Ces savants ne sont pas toujours d’accord, lorsqu’il s’agit de déterminer le phénomène naturel qui est au fond de telle ou telle production mythologique. Il y a des mythologues lunaires, tellement « lunatisés » par leur idée qu’ils n’admettent pas qu’un autre phénomène, en dehors de ceux qui se rattachent au satellite nocturne de la terre, puisse faire l’objet d’une interprétation rhapsodique auprès des peuples sauvages. La « Société pour l’étude comparative des mythes », fondée à Berlin en 1906 et comptant parmi ses membres des savants aussi célèbres qu’Ehrenreich, Siecke, Winkler et beaucoup d’autres, poursuit ses recherches sous le signe de la lune. D’autres, comme Frobenius, estiment que c’est uniquement autour du soleil que l’homme primitif a tissé ses contes symboliques. Il y a encore l’école de l’interprétation météorologique, d’après laquelle ce seraient le vent, l’état de l’atmosphère et les nuances du ciel qui constitueraient l’essence des mythes. Parmi les adeptes de cette école, il faut citer des savants très connus de la vieille génération, tels que Max Müller et Kuhn. Beaucoup de ces mythologues spécialisés défendent ardemment le corps ou le principe céleste ; d’autres, faisant preuve de plus d’éclectisme, sont disposés à admettre que l’homme primitif a inventé sa mythologie en opérant un mélange dans lequel entrent, pour une part plus ou moins grande, tous les corps célestes.

J’ai essayé de résumer fidèlement et d’une façon plausible cette interprétation naturaliste des mythes, mais je suis obligé d’avouer qu’à mon avis cette théorie représente une des conceptions les plus extravagantes qui aient jamais été formulées par un anthropologue ou un humaniste, ce qui n’est pas peu dire. Elle a été réfutée d’une façon vraiment destructive par le grand psychologue Wundt et apparaît dépourvue de toute consistance lorsqu’on l’examine à la lumière de certains ouvrages de Frazer. L’étude à laquelle je me suis livré personnellement sur les mythes qui survivent encore parmi les sauvages m’autorise à dire que