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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/101

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l’homme primitif ne s’intéresse que dans une mesure très relative au côté artistique ou scientifique de la nature ; le symbolisme ne joue qu’un rôle très limité dans ses idées et ses mythes ; en fait, le mythe est moins une rhapsodie imaginée par un homme désœuvré, laissant libre cours à sa fantaisie, qu’une force culturelle extrêmement importante et dont le poids se fait durement sentir. Ignorant la fonction culturelle du mythe, la théorie naturaliste attribue à l’homme primitif un grand nombre d’intérêts imaginaires et se rend coupable d’une grave confusion en mettant sur le même plan des genres aussi distincts et faciles à distinguer que le conte populaire, la légende, la « saga » et la légende sacrée, ou mythe.

En opposition avec cette théorie qui voit dans le mythe une expression symbolique et imaginaire des phénomènes de la nature, se trouve celle qui retrouve dans la légende sacrée des souvenirs historiques, se rattachant à des événements du passé. Cette manière de voir, qui a été défendue par l’ « École Historique » en Allemagne et en Amérique et qui est représentée en Angleterre par le docteur Rivers, ne couvre qu’une partie de la vérité. Il est hors de doute que l’ambiance historique et naturelle influe profondément sur les productions culturelles et qu’on doit en retrouver les traces, souvent profondes, dans le mythe. Mais, voir dans toute la mythologie une chronique pure et simple est aussi incorrect que d’y voir les méditations de naturalistes primitifs. À son tour, cette théorie dote l’homme primitif de penchants scientifiques et lui attribue un désir de connaissance qu’il n’a pas. Tout en étant quelque peu amateur du passé et amateur de la nature, le sauvage se trouve avant tout engagé dans un grand nombre d’occupations et dans une lutte contre d’innombrables difficultés, de sorte qu’on ne risque guère de se tromper, en affirmant que ses intérêts purement pratiques doivent primer tous les autres. Nous verrons plus tard que la mythologie, le savoir sacré de la tribu constituent un puissant moyen à la faveur duquel l’homme primitif arrive à opérer la jonction des deux fins qui caractérisent sa vie culturelle. Nous verrons, en outre, que les immenses services que le mythe rend à l’homme primitif ne sont possibles qu’à la faveur de l’intervention du rituel religieux, de certaines influences morales et de certains