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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/110

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naturels et parlent d’un canoé pétrifié, d’un homme changé en rocher, d’une tache rouge que des gens ayant mangé trop de noix de bétel ont laissée sur un rocher de corail.

Nous avons ici une variété de contes qu’on peut diviser en : récits historiques, portant sur des faits dont le narrateur a été le témoin direct ou dont l’authenticité est garantie par quelqu’un qui en a gardé un souvenir vivant ; légendes, dans lesquelles la continuité du témoignage est rompue, mais dont les sujets font partie de la catégorie des faits ne dépassant pas l’expérience courante des membres de la tribu ; contes reçus par transmission orale et dans lesquels il est question de contrées lointaines et d’événements survenus à une époque sans rapport avec la culture actuelle. Pour les indigènes les limites qui séparent ces trois groupes sont très vagues ; ils les désignent tous par le même nom : libwogwo ; ils les considèrent tous comme vrais ; on ne les raconte pas à titre de performance ou d’amusement pendant une saison spéciale. Les sujets de tous ces contes présentent également une unité substantielle. Ce sont des sujets stimulants, se rattachant à des activités telles que l’activité économique, guerrière, les aventures, le succès dans la danse et dans les échanges cérémoniels. En outre, comme ils portent sur des exploits particulièrement grands accomplis dans tous ces domaines, ils servent à rehausser le crédit de tel ou tel individu et de ses descendants, ou celui d’une communauté tout entière. Aussi sont-ils maintenus par l’ambition de ceux dont ils glorifient les ancêtres. Les histoires contenant l’explication de certains caractères particuliers du paysage ont souvent un contexte sociologique, en ce sens qu’ils énumèrent les clans ou les familles dont les ancêtres y ont accompli tels ou tels exploits. Et lorsque ce n’est pas le cas, on se trouve en présence de commentaires isolés et fragmentaires portant sur telle ou telle particularité géographique, considérée comme une trace ou un témoignage d’un exploit donné.

Il est encore évident que lorsque nous étudions un de ces récits, en nous contentant d’une simple lecture, la signification du texte, le caractère sociologique du récit, l’attitude de l’indigène à l’égard de celui-ci et la nature de l’intérêt qu’il porte nous échappent en grande partie. Si ces histoires survivent dans le souvenir des hommes, c’est à cause de la manière dont elles sont racontées